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Le biographe et les secrets de famille

04/09/2025

Le biographe et les secrets de famille

Il paraît que chaque famille recèle des secrets. Du simple non-dit à l’omerta, leur révélation peut dénouer des tensions ou au contraire entraîner une réaction en chaîne dont certains peineront à se remettre. 

« Les secrets sont des piments sur le bout de la langue. Tôt ou tard, ils mettent la bouche en feu. »

Christian Bobin, in Geai

Face au secret de famille révélé par un narrateur, quelle est la bonne posture à adopter pour le biographe ?

Qu’est-ce qu’un secret de famille ?

Le terme de secret est emprunté au latin, dérivé de secernere qui signifie « mettre à part ». Ce qui revient à dire que garder un secret, c’est à la fois mettre à part la chose qui est tue, tout en mettant à part ceux à qui on refuse de la révéler.

Le secret peut prendre la forme d’un non-dit, un événement ou un fait connu de certains qui ont décidé de le cacher à d’autres. Pourquoi ? Parce qu’il va de pair avec la honte, la culpabilité ou un traumatisme émotionnel dont le souvenir est prégnant.

Pratiquée au sein d’une famille, cette « cachotterie » devient secret de famille. Le plus souvent, il s’agit de mettre sous cloche un acte contraire à une certaine morale — sous-entendu, dans le contexte de l’époque à laquelle il s’est déroulé. On peut ainsi citer un enfant illégitime, une liaison adultère, un choix de vie controversé… Parmi la longue liste des secrets de famille, on trouve aussi certains actes inavouables commis par l’un des membres : meurtre, viol, inceste, détournement d’héritage, scandale, etc. Parfois le secret prend la forme d’un événement dramatique qu’il peut être tentant d’essayer d’enfouir dans sa mémoire.  

Or, les secrets de famille ont ceci de particulier qu’ils peuvent agir comme des poisons et gâcher la vie de ceux qui ont la lourde responsabilité de les porter et, plus étrangement, de ceux qui les ignorent. Il arrive que le « gardien » du secret, à la longue, se sente prisonnier de celui-ci. Le silence qu’il s’impose va toujours de pair avec une interdiction. « Tu n’as pas le droit d’en parler, je t’interdis de le dire, etc. » Et cette interdiction peut peser sur sa conscience et l’empêcher de vivre sereinement.

Parlons maintenant de ceux à qui l’on tait le secret de famille : les non-dits, les silences, les soupçons, l’absence de réponse aux questions posées peuvent générer chez eux un sentiment de gêne, de doute, allant parfois jusqu’à engendrer des symptômes physiques se traduisant par un mal-être, voire une dépression. Des études scientifiques ont d’ailleurs prouvé que les secrets de famille peuvent entraîner des répercussions sur plusieurs générations.

Le biographe et le secret de famille

Le biographe, en raison même de son métier, est de temps à autre confronté à la révélation d’un secret par le narrateur. L’entretien bat son plein, les souvenirs affluent, les personnages surgissent du passé et prennent vie. Le narrateur en confiance avec son interlocuteur — tenu à la confidentialité et étranger à la famille — se laisse tout à coup aller à une confidence et dévoile le secret si bien gardé !

Et voici notre biographe plongé au cœur du secret de famille, au moment où il s’y attendait le moins. Rompu à faire face à l’inattendu, celui ou celle dont le métier est d’écouter et de raconter, continue à faire bonne figure. Mais en lui, c’est la tempête ! Curiosité, inquiétude, gêne, surprise, voire effroi…, selon la nature de ce qu’il vient d’apprendre, les sentiments qu’il ressent peuvent être multiples.

Car notre biographe, déjà imprégné de l’histoire du narrateur, imagine déjà les impacts de la révélation du secret, qui peut le placer dans une situation délicate… notamment lorsque le commanditaire de la biographie est un enfant ou un petit-enfant. D’un autre côté, entrer dans l’intimité d’une personne au point que celle-ci vous confie ce qu’elle n’a jamais dit à personne peut paraître gratifiant.

Néanmoins, pour qui est curieux — et on peut gager que notre biographe l’est — connaître l’existence de ce secret de famille peut l’aider à comprendre la personnalité du narrateur, la façon dont ses choix et sa vie ont été influencés par ce qu’il devait taire. Il y a d’ailleurs fort à parier que cette révélation influencera l’écriture même de l’ouvrage.

 

Dévoiler ou ne pas dévoiler le secret de famille dans la biographie, quel dilemme !

Arrive alors immanquablement l’épineuse question : faut-il dévoiler ce secret dans sa biographie ?

Déontologiquement, le narrateur est le seul responsable des propos tenus et des faits racontés dans son récit de vie : il prend la responsabilité de ses choix et en assume les conséquences, notamment en matière de contenus textuels. Notre biographe, quant à lui, n’est que « l’instrument » du narrateur, il tient la plume. Il ne lui appartient en aucune façon le choix de dire ou ne pas dire. Pour autant, en se basant sur son expérience, il peut accompagner le narrateur dans sa prise de décision en lui soumettant quelques questions :

— ce secret de famille a-t-il sa place dans l’histoire racontée, dans l’époque, le contexte ?

— ce secret apporte-t-il aux lecteurs un éclairage intéressant, un choc nécessaire ou salutaire ?

— ce secret de famille permet-il de répondre à l’objectif ou au sous-texte de la biographie ?

— ce secret peut-il blesser un ou plusieurs des futurs lecteurs du récit de vie ?

— la divulgation du secret de famille peut-elle entraîner des conséquences néfastes sur l’un ou l’autre des membres de la famille ?

— l’évolution du contexte ou de l’époque rend-elle le secret de famille caduc ?

— le narrateur est-il sûr à 100 % de détenir toute la vérité ?

Il appartient ensuite au narrateur de décider. S’il décide de garder le silence, il peut compter sur le biographe et sur sa discrétion.

 

De l’avantage de tourner sept fois son stylo sur la page !

Le narrateur a pris sa décision, le secret de famille doit figurer au récit.

Et c’est à notre biographe que revient la délicate rédaction de cette « révélation » : à lui de prendre toutes les précautions nécessaires dans son écriture pour éviter les faux pas. S’en tenir aux faits dont il a connaissance est le meilleur conseil que l’on puisse lui donner, ne pas extrapoler, ne pas juger, faire preuve de neutralité et d’empathie. Pour cela, il doit avoir bien compris toute la mesure du secret.

Le narrateur, qui pourrait à juste titre se sentir libéré du poids du secret, ne doit cependant pas négliger l’impact de sa révélation sur les membres de sa famille. Notre biographe aura sûrement à cœur de lui conseiller de préparer le terrain auprès de ses lecteurs (voire de révéler le secret avant que ne paraisse la biographie). C’est d’autant plus vrai si certains d’entre eux en sont les « financeurs » ; dans le cas contraire, ils pourraient se sentir trahis.

 

Ayant été confrontée à l’adolescence à la révélation d’un secret au sein de ma famille, je suis intimement convaincue que ceux-ci ne font de bien à personne.

Comme le dit Marie-Sabine Roger dans son livre Trente-six chandelles : « Les secrets de famille sont de noires araignées qui tissent autour de nous une toile collante. Plus le temps passe, plus on est ligoté, bâillonné, serré dans une gangue. Incapable de bouger, de parler. D’exister. »

Pour autant, faut-il profiter de la rédaction d’une biographie pour en révéler l’existence ? À chacun de se faire sa religion sur ce sujet…

 

Photo de Kristina Flour sur Unsplash

 

Françoise LunardiBiographie - Accompagnement à l'écriture - Ateliers d'écritureMembre agréé de l'Académie des écrivains publics de France et duSyndicat national des prestataires et conseils en écriture

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